L’INFIDÉLITÉ DANS LE COUPLE
ÉCLAIRAGES THÉRAPEUTIQUES SUCCINCTS
Sophie LARGHI, thérapeute de couple et en individuel
Le motif de l’infidélité est régulièrement amené comme motif de consultation thérapeutique. Celle-ci est alors présentée comme un événement perturbant profondément le couple, qui remet en cause les bases fondatrices sur lesquelles le couple s’est structuré. Il n’est d’ailleurs pas rare que l’infidélité soit vécue comme un événement traumatisant, auquel le couple ne survit pas toujours ou difficilement.
Dans cet article, je propose d’aborder les ressorts psychologiques généraux des liaisons clandestines et d’approfondir en particulier les représentations genrées qui les sous-tendent.
En premier lieu, est-il possible de donner une définition de l’infidélité, qui serait universelle et valable pour toute personne ?
Il semble que la définition soit au contraire à géométrie variable, selon la personne, son vécu et la représentation qu’elle se fait de l’infidélité, selon l’époque et la culture à laquelle elle appartient.
Depuis le milieu du XXème siècle, l’amour est au centre du couple. La formation des couples ne repose plus sur des considérations économiques comme par la passé. Ainsi, les couples se construisent et se déconstruisent selon la solidité du sentiment amoureux qui continue d’unir ou non les partenaires.
Notre époque porte en elle l’individualisme qui sous-tend un principe de liberté du choix du conjoint, censé répondre au projet amoureux de l’un et de l’autre. Ce projet amoureux se distingue du projet économique qui fondait les couples des siècles précédents.
Cet éclairage sociologique est désormais ancré dans la représentation contemporaine du couple, ce qui comporte des répercussions importantes sur la psychologie des partenaires et sur leurs attentes mutuelles.
Comment faire perdurer le sentiment amoureux ? Est-ce possible de le maintenir durablement ? A défaut de pouvoir le faire vivre dans l’union officielle, certaines personnes espèrent le trouver auprès d’une tierce personne, sans mettre fin à la relation officielle.
Apparaît la notion de secret avec l’adultère, que ce soit dans le couple marié ou non.
Ainsi, la relation d’adultère est par définition cachée à l’autre, secrète, non dévoilée. Elle implique de « ne pas dire » au conjoint.
C’est une sorte de « vie parallèle », comme les nomment les patients eux-mêmes
Il est possible de distinguer diverses formes d’adultère, selon leur durée.
Certaines liaisons sont épisodiques, sans suite et sans implication émotionnelle. D’autres peuvent être de courte durée mais elles se différencient de la précédente car une rencontre affective s’est opérée entre les personnes. Plus durablement, cette relation va créer l’attachement entre les amants, au-delà de la relation charnelle.
Enfin, une liaison secrète étalée sur plusieurs années comporte des enjeux relationnels importants et complexes, qui incluent le sentiment amoureux, et placent le partenaire infidèle dans une situation où il devra tôt ou tard choisir entre la dissolution du couple officiel ou mettre un terme à la relation d’adultère.
Les motifs de l’adultère sont variés, allant du désir de la nouveauté, en particulier dans le cas des couples qui se sont constitués précocement, d’un besoin de rassurance sur sa valeur d’homme ou de femme, ou bien d’une réaction vengeresse lorsque l’un des conjoints s’est senti blessé par l’attitude de l’autre. Ce sont les motifs souvent invoqués en consultation.
Je remarque que le dénominateur commun résulte d’une insatisfaction plus ou moins marquée du partenaire qui s’engage dans la liaison secrète. Une insatisfaction liée à la réalisation de ses désirs, qui ne peuvent plus ou pas être assouvis dans le couple. Cette insatisfaction provoque la recherche d’un(e) autre qui serait la promesse d’un épanouissement de ce(s) désir(s), avec le sentiment d’une meilleure réalisation de soi-même ou d’une partie de soi.
A partir de ce constat général, il est utile de distinguer les représentations de la liaison clandestine, selon que l’homme ou la femme en est à l’origine. J’évoquerai ici la relation d’adultère durable qui engage les sentiments des personnes, dans le cadre d’une double vie sur plusieurs années.
En effet, l’analyse que je fais dans le cas de ces liaisons durables est la suivante : une véritable crise identitaire est à l’œuvre, se situant en général vers la quarantaine ou un peu avant, à un moment où les individus se questionnent de façon existentielle sur le sens du parcours de vie déjà accompli et de celui qu’ils souhaiteraient trouver à l’avenir.
L’adultère est donc souvent présenté comme un désir de questionner la satisfaction de ses désirs profonds et ramène à ce constat d’une insatisfaction plus ou moins globale au sein du couple officiel. Il s’inscrit donc dans une attente d’un renouveau, d’un sentiment de liberté non acquis, voire d’une sensation d’étouffement psychique au sein de la relation qui apparait comme étriquée et centrée sur des besoins purement domestiques du foyer à entretenir et/ou des enfants à éduquer, ce qui est régulièrement désigné comme étant « la routine du quotidien ».
Des personnes peuvent dire leur sentiment de « n’être pas elles-mêmes » dans le couple officiel et en société tandis qu’elles vivent la part intime d’elles-mêmes dans la relation secrète. Comment interpréter cette dichotomie profonde ? et au-delà, comment la vivre ?
Du côté des hommes, la liaison secrète vécue durablement est souvent invoquée en soutien du besoin de vérifier leur pouvoir de séduction auprès d’une tierce personne, et de leurs performances sexuelles. C’est l’image du corps qui est en jeu, et au-delà leur valeur en tant qu’homme qui est questionnée. Il n’est pas rare que ces hommes engagés dans une double relation opèrent un véritable clivage entre ces deux pôles affectifs, l’un auprès de la femme « officielle » et l’autre auprès de celle maintenue dans « le secret ». Il n’est alors question ni de dissoudre la 1ère union ni de s’engager exclusivement dans la seconde.
Le conjoint infidèle peut d’ailleurs considérer qu’il est aussi fidèle dès lors qu’il ne rompt pas le couple avec la mère de ses enfants, tout en restant engagé dans la relation adultère.
Au contraire, la rupture serait vécue comme une trahison de valeurs relatives à la stabilité du couple et de la famille.
C’est alors qu’un clivage s’opère puisque la personne construit psychiquement des territoires séparés en trouvant une formation de compromis avec elle-même pour maintenir une représentation positive de la situation globale.
A contrario, il semble d’après mon expérience et ce que j’entends lors des consultations, que le désir de fonder un nouveau couple soit un motif suffisant pour la femme, contrairement à l’homme, de faire le choix de rompre avec le conjoint.
De façon générale, la stabilité et la sécurité de l’union officielle, ainsi que les intérêts matériels ou liés à l’éducation des enfants, sont régulièrement mis en opposition à l’épanouissement sexuel et affectif auquel la seconde union contribue.
J’aborderai dans un prochain article les bénéfices de certains outils thérapeutiques qui permettent au couple de maintenir la relation lorsque celle-ci a été bouleversée par une infidélité.
Il s’agit d’une part, d’aider le partenaire qui vit l’infidélité de l’autre à traverser ce qu’il considère comme une trahison. Et d’autre part, d’aider le partenaire infidèle à se vivre moins coupable, tout en permettant à la relation de se reconstruire et faire naître de nouveau le désir entre eux.
La thérapie conjugale apporte des clés pour tout couple qui souhaite être accompagné dans cette voie.